mardi 12 août 2014

Vingt et un virgule un (2)

Le Jour J.

 

Pendant toute la préparation au semi-marathon de Paris, j'ai eu peur de ne pas être à la hauteur. J'ai tellement mangé de kilomètres qu'à la fin ça me dégoûtait. J'avais envie de passer à autre chose, de retrouver une vie sociale. Pas toujours évident de refuser un verre de vin et de quitter une soirée super tôt parce que le lendemain on s'entraîne... voire de refuser une invitation à dîner parce que devinez quoi ? on s'entraîne !...

Mais le jour J, j'ai compris.
J'ai compris que si j'étais si heureuse d'y être, si détendue, et si confiante, c'était grâce à l'entrainement.

L'ambiance au départ était bonne. Pas de pluie, pas de grand soleil non plus, mais une fraîcheur vivifiante. Temps presque parfait. Jusqu'à 10h, une foule, majoritairement masculine, s’est amassée progressivement sur l'esplanade du Château de Vincennes. Chacun attendant ensuite le top départ, dans le sas de sa catégorie.
Comme ma cousine, j'étais inscrite dans la catégorie "2h et plus", ou catégorie "SF". Pour Science-Fiction, certainement, me concernant. Ou pour Sans Fin, peut-être. A 11h, notre file, la dernière, est partie.

Pendant le premier kilomètre, j'étais bien... mais bien. On courrait tous à la même allure. Je me suis dit : chic ! J'assure trop ! Tu vas voir que je vais finir en beauté... Mmmm... en fait, les gars, ils s'échauffaient.
Passé le kilomètre 1, je me suis sentie beaucoup plus isolée. Mais nous avions établi une stratégie de course avec Pascal, pour tenir jusqu'au bout, donc je ne me suis pas laissée embarquer dans l'accélération.

Arrivée au kilomètre 5, premier ravitaillement, et premier constat : il n'y a plus rien à manger (bon, ça, c'était pas grave), mais surtout plus d'eau. Tout avait été raflé par les hordes précédentes. Pendant quelques secondes, j'ai sérieusement songé à abandonner : s'il n'y a plus d'eau ici, c'est que l'organisation a sous-estimé les besoins des coureurs, donc il y a de fortes chances qu'il n'y en ait plus non plus au 10ème et au 16ème kilomètre. Faire un semi sans eau ? Impossible. Et dangereux, surtout. Acheter une bouteille dans un magasin ? Pour ça il faut d'abord que je m'arrête à un distributeur. Non franchement, rien de tel pour péter une ambiance. J'ai ramassé une bouteille à moitié pleine par terre. Tant pis. Je mourrai peut-être d'une gastro, mais pas de soif.

Au 8ème km, une côte, un peu raide, la rue Taine. Bon. Elle est chiante, mais elle est courte, et encadrée de deux descentes. Si on raccourcit la foulée et qu'on tire bien les coudes vers l'arrière, ça passe...

J'avais donné rendez-vous à mon meilleur ami, sa femme et leur fille peu avant le ravito du 10ème km, mais arrivée sur place, personne. Je me suis sentie bouffée par la déception, vous n'imaginez pas. Sur le parcours, chaque encouragement, chaque sourire, même anonyme, chaque note de musique perçue au détour d'une rue est un verre d'eau sucrée. Le pouvoir de ces attentions là est inouï, même quand on ne les attend pas. Alors quand on les attend et qu'elles ne sont pas là... c'est un peu dur.
Mais tout de suite, mon esprit a été rattrapé par l'instinct de survie à l'approche du ravito : les amis on s'en fout ! Il y a de l'eau !!!... et du putain de Powerade sucré qui colle au bitume.

La suite a été très calme jusqu'au 12ème kilomètre. Là j'ai senti que je commençais à fatiguer.
A ce stade de la course, les rangs se clairsèment, et même si on a fait la moitié du parcours, on sait que le plus dur est à venir. Et on n'a pas encore tourné les talons, puisque la "bascule" à Châtelet intervient au 13ème km seulement. Donc psychologiquement, le cap est un peu difficile. C'est une de mes plus anciennes amies, Noémi, postée à un coin de la rue Saint-Antoine, qui m'a aidée à le passer avec le sourire, quand je l'ai entendue hurler ses encouragements, les yeux rougis par l'attente dans le froid.

La suite a défilé. Pas très vite, certes, mais ça a défilé. J'étais en "mode automatique". Alors attention, ça ne signifie pas "j'étais en extase, mes jambes bossaient toutes seules et pour moi c'était coolos les baskettos" hein. Juste une sorte de légère transe, engagée par le mouvement régulier des muscles, mais pas de blague : vous continuez quand même de la sentir passer.

Au ravito du 16ème km : à nouveau plus d'eau. Quelques oranges tout de même, qui ont bien aidé. Les bénévoles chargés de la distribution s'en prenaient plein la tête, de la part de coureurs excédés. Et assoiffés, surtout. Moi j'avoue que je n'avais pas assez d'énergie pour m’énerver. J'ai à nouveau préféré choper la malaria en me servant dans le caniveau. Mais cette fois-ci, bonne pioche, la bouteille était intacte... au passage, le gâchis observé pendant ces courses, c'est fou.

J'étais engagée dans la rue de reuilly, quand, arrivée à l'angle du boulevard Diderot, je les ai vus. D'abord Baptiste, mon meilleur ami, avec Annah dans les bras, puis sa femme Leslie, qui agitaient une pancarte avec des cœurs dessus, et qui hurlaient qu'ils m'aimaient et que j'étais la meilleure. J'en aurais chialé. Si j'avais eu encore un peu d'eau dans l'organisme, s'entend.

La suite n'a été qu'un feu d'artifice d'émotions de ce genre puisque Pascal, mon coach, m'a fait l'immense surprise de m'attendre au 17ème km, au pied de la seconde et dernière côte de ce semi pour qu'on la fasse ensemble. Sur son t-shirt, "Accept no limit". On ne pouvait pas assurer plus.
Puis mon incroyable petite sœur, au 18ème km, qui, sac au dos et chaussures de ville aux pieds, a couru à mes côtés pendant 500 mètres au moins... C'est bien simple, ils m'ont portée.

Donc quand je me suis retrouvée seule pour faire les 3 derniers kilomètres, j'ai soudain pesé trois tonnes.
Vous l'avez peut-être déjà lu dans d'autres comptes-rendus du semi-marathon de Paris, et je vous le confirme : oui, cette fin, de Porte dorée jusqu'à la ligne d'arrivée, est interminable. Oui, on a l'impression de faire du moonwalk, et oui, on a l'impression que le portique d'arrivée recule. A la fin, j'étais obligée de vérifier sur ma montre que j'étais bien en train de courir. J'avais l'impression que je pouvais m'arrêter à chaque pas, que je pouvais m'effondrer à chaque mètre. D'ailleurs une partie de vous vous conjure d'arrêter, de vous étendre là, sur le côté... Et une autre vous dit que si vous vous arrêtez maintenant, vous aurez fait tout ça pour rien.

Photo finish. Voyez cette foule incroyable. Il y avait quand même encore 600 personnes derrière moi.... et 32000 devant. Soit.


L'après portique est un mélange de moments heureux -celui où on se met enfin à marcher- et de moments moins heureux -celui où on réalise qu'on ne peut plus marcher.
Il m'a fallu une heure et demi pour récupérer (j'étais littéralement ivre, à ne plus pouvoir articuler correctement avec un mal de ventre carabiné), pouvoir enfin avaler quelque chose, et ressentir la joie immense de l'avoir fait. Et cette dernière sensation perdure depuis.

Pour la petite histoire, il n'y avait plus de médailles, à l'arrivée des derniers milliers de participants.
Plus de médailles.
Non mais qui fait ça, quoi.
Plus d'eau pendant la course.
Plus de ravito à l'arrivée non plus.
Mais plus de médailles ?!
Un petit courrier à l'organisateur pour lui dire ce que je pense de tout ça, et un beau matin, dans la boîte aux lettres, elle était là, avec mon temps gravé au dos : 2h53'57''.









2 commentaires:

  1. voila, c'est lu, ca va plus vite qu'un semi marathon j'en conviens mais on ressent les memes sentiments que toi... plaisir, larmes (depuis des années des riens m'emeuvent comem le coup de la pancarte ou découvrir que ton coach et ta soeur etaient la et dc les larmes innondent mes yeux d'emotion), adrénaline, envie d'encore plus.
    Bravo ma K.ro.

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  2. Oh ben dis... Merci pour ce retour lacrymal, j'en suis à mon tour toute émue...

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